La dernière grosse exclusivité Xbox 360 de l'année n'est pas la moindre, c'est peu de le dire. Avec Mass Effect, Bioware ambitionne de délivrer le plus grand RPG de la console américaine, fort de l'expérience énorme acquise sur Star Wars Knights of the Old Republic et Jade Empire. Le studio canadien se lance, avec ce jeu, dans ce qui promet d'être son projet le plus important à ce jour, avec un univers qui accueillera, à terme, une trilogie, et un travail de développement/recherche colossal en amont. Est-on en présence du space-opera que tout le monde attendait ? Eléments de réponse.
Dire que Bioware commence à maîtriser son sujet en matière de RPG est un doux euphémisme : le studio d’Edmonton est, avec Bethesda Softworks, la référence occidentale du jeu de rôle solo, réputation acquise assez rapidement, puisque sa création ne date que de 1995, quand trois copains docteurs, passionnés de Dungeons and Dragons, eurent la drôle d’idée de se lancer dans le jeu vidéo. Grand bien leur en prit, puisqu’un peu plus d’une décennie plus tard, le trio - devenu duo après le retour d’un des compères à la médecine – a produit plusieurs séries majeures, comme Baldur’s Gate ou encore NeverWinter Nights.
Mass Effect est justement un concentré de savoir-faire, ce genre de création qui respire la formule bien huilée. Bioware avait commencé à développer l’aspect narration/dialogues avec Knights of the Old Republic, puis avait enchaîné sur les combats, en incluant un système temps réel dans Jade Empire, remplaçant le classique tour par tour. Mass Effect arrive donc au moment où la studio canadien, fort de ces deux expériences plutôt concluantes, on en conviendra, a envie de voir plus loin, de perfectionner ses outils pour avancer et atteindre son plein potentiel.
Escarmouches et pourparlers
Mass Effect présente par conséquent deux mécaniques de gameplay essentielles, qui peuvent être résumées rapidement. D’abord, un dispositif de conversation novateur, dont on a suffisamment parlé pour ne pas avoir besoin de répéter en détail les rouages. Très intelligent, il se présente sous la forme d’une roue interactive proposant plusieurs types de réponses abstraites, et non des lignes de dialogue intégrales. Une idée de génie, car, doté de ce système, Mass Effect produit des conversations non seulement fluides comme jamais, mais également plus intéressantes à suivre, puisqu’on « découvre » complètement ce que dit le héros à chaque fois.
A côté de cet élément, seconde mécanique, les combats, en temps réel donc, dont la jouabilité rappelle immanquablement les jeux de tir à la troisième personne qui fourmillent ces temps-ci sur console. Proches du feeling d’un Ghost Recon, ces phases de jeu combinent l’immédiateté, la spontanéité d’un jeu d’action à l’approche plus posée du RPG, avec un grand nombre d’objets à utiliser judicieusement et un panel de pouvoirs à disposition. Le jeu lorgne donc complètement vers l’action-RPG, même s’il garde quelques points d’amarrage avec le jeu de rôles à proprement parler. Un mouvement souhaité par Bioware, déjà initié sur Jade Empire, avec pour objectif de faire de l’expérience de jeu un bloc compact, de fluidifier l’ensemble. Et effectivement, cette approche temps réel de Mass Effect permet au jeu d’enchaîner sans coupure narration et affrontements avec un certain bonheur, même si tout n’est pas agencé à la perfection.
Dialogues, combats : ces deux systèmes sont bien entendus influencés directement par de très classiques capacités à améliorer via XP, précieux points qu’on remporte en combattant, réglant des quêtes primaires ou secondaires, ou simplement en explorant les niveaux ou discutant avec les PNJ.
Difficile de reprocher quoi que ce soit au système de dialogues du jeu, qui représente une réelle avancée dans son domaine et risque de faire date. Plus critiquables sont les combats, handicapés par une IA limitée, aussi bien pour les deux compagnons du héros que pour les ennemis. Ceci étant, on fera remarquer que peu de jeux parviennent à trouver la bonne formule de ce côté-là, y compris quand ils tournent uniquement autour du combat (le meilleur exemple serait sans doute celui de Lost Planet). Avec ses possibilités tactiques (placement des coéquipiers, couverture derrière les obstacles), son arsenal équilibré et sa richesse RPG, permettant de se forger des combattants très différents les uns des autres, Mass Effect pourrait sans doute en remontrer à pas mal de softs d’action, car les fusillades sont en définitive plutôt agréables, une fois la grande variété de commandes maîtrisée. Du moment qu’on arrive à admettre qu'on ne peut pas avoir les mêmes exigences qu’avec un Gears of War ici, on réalise que Bioware a vraiment fait du beau travail compte tenu, on le rappelle, d’un curriculum vierge de tout soft se rapprochant de ce que les combats de Mass Effect proposent.
Une saga est née
Mais Mass Effect, c’est avant tout une aventure intersidérale, une quête pour le salut de la galaxie, un petit chef d’œuvre de scénario et d’ambiance. Porté par son nouveau dispositif de dialogues, le RPG est beaucoup plus rythmé que KOTOR ou Jade Empire, avec des cinématiques mieux intégrées, plus nombreuses et une réalisation irréprochable durant les conversations. En effet, Bioware ne fait pas qu’introduire son système inédit, il l’agrémente d’excellentes animations faciales et de toute une palette d’animations ayant pour but de donner un vrai fond aux personnages. Cela va des yeux qui ne restent pas statiques aux mouvements des mains, en passant pas certaines actions adaptées au contexte (finies les intimidations où le héros reste droit comme un piquet, maintenant il sort un flingue ou décoche une beigne bien sentie).
Comme toujours, une des grandes forces de Bioware, c’est celle, trop rare dans le jeu vidéo, de raconter des histoires. Le travail d'écriture est globalement colossal, et presque sans fausse note tout au long du jeu, ce qui est remarquable à plus d'un titre. Ce qui serait mal tourné, ridicule, voire inutile ailleurs, le studio le transforme en indispensable. Le script de l’aventure, qui voit le commandant Shepard, dont on détermine l’apparence et le passé au début du jeu, s’opposer aux plans de Saren, agent rebelle aux sombres desseins, dégage une très grande force. Si bien que Bioware n’a même pas besoin, au cours de l’aventure, de procéder à d’ultimes rebondissements pour relancer l’intérêt, celui-ci coule de source tout du long. On va de découverte et découverte, dans un univers incroyablement designé et sublimé par une bande-son électro-symphonique déjà mythique. Comme souvent dans les productions du studio canadien, l’intrigue prend le temps de s’installer et ne se révèle totalement qu’après de longues heures de labeur (ou plutôt de plaisir), dans une construction exemplaire de solidité.
L’aventure nous met aux commandes du Normandy, un vaisseau qui servira à mener l’enquête aux quatre coins de la Voie Lactée. Bâti autour d’un background assez extraordinaire, comme en témoigne le Codex Galactique disponible dans les menus, Mass Effect est fait de rencontres, d’exploration. Découvrir la personnalité de ses coéquipiers aliens et se balader dans les rues immaculées de l’antique Citadelle est la plupart du temps passionnant, mais le jeu ne tourne pas qu’autour de ça. A côté de la quête principale gravite un grand nombre de missions secondaires, essentiellement basées sur l’exploration de planètes encore inexplorées ou peu colonisées. Souvent magnifiques, ces endroits sont aussi lunaires, au premier sens du terme : il y a peu de choses à y faire et, manque de pot, ce sont souvent les même tâches que l’on doit réaliser. On aurait sans douté préféré un peu plus d’endroits habités au lieu de tomber à chaque fois sur les mêmes hangars et les mêmes ennemis. Attention, tout n’est pas à jeter, mais il faudra distinguer le bon grain de l’ivraie dans un ensemble résolument inégal.
Inégale, la technique l’est aussi dans Mass Effect. Ce n’est pas avec ce jeu que Bioware fera mentir sa réputation de finisseur un peu nonchalant : impeccable artistiquement, le RPG souffre de problèmes techniques divers, comme un framerate poussif (un des péchés mignons des productions Bioware), des retards dans l’affichage des textures ou encore des temps de chargement multiples et mal dissimulés, souvent par des trajets interminables en ascenseur. Durant tout le jeu, le lecteur de DVD de la 360 travaille à plein, à tel point qu’on l’entend réellement plus que d’ordinaire. Cela s’explique en partie par le fait que les développeurs, de leur propre aveu, aient eu pas mal de difficultés à faire tenir Mass Effect sur un seul disque. La compression des données n’a pas dû leur faciliter la tâche, et ça se sent.
Ces chargements, ces ralentissements, alliés à la construction très progressive de l’intrigue et à un Shepard un peu lent en vitesse de course, donnent à Mass Effect un aspect très, voire trop posé. Ce n’est pas un défaut en soi, surtout pour un RPG, mais cela peut entraîner certaines vexations, par exemple quand on oublie de sauvegarder fréquemment, le système d’auto-save étant relativement traître. Les phases d’exploration en véhicule sont particulièrement touchées, en plus d’une maniabilité délicate. Il faudra donc sauvegarder souvent pour éviter d’avoir à faire et refaire des phases de jeu et éviter de rendre sa progression laborieuse. Un comble, alors que les plus emballés, comme nous, n’ont qu’une envie à la fin de l’histoire : recommencer. Le nombre d’embranchements et de classes de personnages permet en effet de jouer au moins deux parties très différentes. Le fil rouge reste le même, et il n’existe pas de différenciation méchant/gentil aussi marquée que dans KOTOR, mais il est toujours passionnant de voir ce qui se serait passé si on avait fait tel autre choix à tel moment de l’histoire. Car c’est aussi ça, Mass Effect : un univers qui semble malléable, réactif. Et c’est à nous que sont confiées les clés pour l'exploiter.
Bioware ne déçoit pas avec Mass Effect, qui tient, en ce qui nous concerne, toutes ses promesses. La narration, primordiale dans un RPG, est impeccable, comme on pouvait s’y attendre. Plus critiquables (et critiqués), les combats sont tout de même bien au-dessus de ce qu’on trouve dans la majorité des jeux de rôles, et forment un bon compromis entre action pure et approche rôliste plus posée. Les problèmes techniques sont, certes, présents, mais comme d’ordinaire chez Bioware, c’est le faible prix à payer pour vivre une expérience sensationnelle dans un univers d’une énorme richesse. Et dire que ce n’est que le premier des trois...